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« Des mesures de prévention pas toujours simples à mettre en œuvre dans l’urgence »

Ce que la crise a changé pour les préventeurs, son impact sur les agents et leur santé mais aussi sur les organisations, avec l’intégration des mesures de protection, des gestes barrière et de la distanciation : Thierry Rieffle, conseiller en prévention à la ville de Lyon (69), apporte son témoignage sur cette situation inédite et l’après-crise sanitaire, dont l’un des principaux enjeux sera, selon lui, celui de la santé au travail.

Propos recueillis en juin 2020.

  • Quel est le rôle d’un préventeur ? Quelles sont vos missions ?
  • Le rôle du préventeur est essentiellement articulé autour de deux principes fondamentaux : assister et conseiller le responsable de la santé et de la sécurité au travail qui est l’employeur, à savoir le maire ou, dans de très grandes structures comme la ville de Lyon, un directeur.
    Nous faisons un travail de terrain, d’analyse des accidents, des incidents, des situations de travail… mais aussi un travail de prospective, de veille réglementaire, d’évolution des métiers et des pratiques professionnelles. C’est un travail co-construit. Les travailleurs, l’encadrement, la direction, la direction générale sont autant d’interlocuteurs pour la réalisation de ma mission, en lien avec les autres acteurs de la santé au travail (médecins, ACFI, CHSCT[1]…). Au-delà de l’obligation de faire (code du travail, décret de 1985, etc.) et au-delà des questions de l’obligation de résultat, de moyens, de moyens renforcés, il doit y avoir un réel besoin exprimé.

  • Quels impacts, évolutions liés à cette épidémie ?
  • Du point de vue des risques professionnels, nous connaissions déjà, bien avant la Covid-19, les risques chimiques et bactériologiques, identifiés dans notre document unique. Des moyens de prévention et de précaution existent, même si dans l’urgence et dans l’évolution d’une intervention, toutes les mesures de prévention ne sont pas toujours aussi simples à mettre en œuvre comme c’est écrit dans le document unique ou d’autres prescriptions ! Nous avons par ailleurs beaucoup échangé au sein du réseau national des préventeurs et ergonomes des collectivités territoriales, ResPECT[2], il en ressort un impact sur le rôle de chacun. Beaucoup d’agents sont devenus experts et les préventeurs ont un peu perdu la main. Tout cela a été très vite et nous n’avons pas toujours été dans notre rôle, presque relégués à celui d’acheteur, d’équipements de protection comme les plexiglass, les masques, les solutions hydro-alcooliques.

  • De quelle manière travaillez-vous avec la médecine préventive ?
  • Les sujets les plus partagés avec la médecine de prévention demeurent ceux liés aux aménagements des postes de travail, pour le maintien dans l’emploi, prescrits par les médecins après les visites médicales. Sur la période de pandémie, j’ai surtout été informé des avis médicaux pour les autorisations spéciales d’absences "fragilités". Les autres sujets de santé comme la santé mentale restent dans le domaine de la discrétion. La question de la situation de travail qui a rendu la personne "malade", est encore difficile à aborder.

Santé, sécurité au travail, ville de Lyon.

  • Qu’est-ce qui est le plus compliqué en cette période ?
  • De redonner de la confiance aux agents sur leur environnement de travail. A Lyon, les mesures de protection ont été prises avec des protocoles d’intervention, des affiches de sensibilisation ou encore l’installation de plexiglass pour séparer les agents entre eux et pour protéger ceux qui accueillent du public. Mais le risque de transmission du virus est toujours là, la peur également et certaines personnes appréhendent de revenir au travail. Respecter les mesures de protection, comme le port du masque, reste aussi complexe. Cela nécessite vigilance et rigueur à tout instant. Le plus compliqué se résume aussi peut-être en une tentation de certains à vouloir absolument revenir, coûte que coûte à cette fameuse "normalité" ! On a bien vu et constaté qu’elle incarnait un des problèmes.

  • Quel est l’impact de cette crise sanitaire en matière d’hygiène et de sécurité des agents ?
  • D’abord des changements de paradigme vont s’opérer, notamment autour des espaces de travail partagés, avec l’intégration des gestes barrière, de la distanciation physique et de fait sociale, et autour des temps dits « sociaux » (repas, pauses café, pots de départ…). Puis des changements de culture liés à l’activité de travail, aux consignes, aux régulations. Les premiers éléments de retours seront aussi certainement sur le « travail à distance », qui n’a pas été anticipé. Beaucoup parle de télétravail. Or, le télétravail est un travail connu, organisé, contrôlé, sécurisé, discuté et accepté préalablement… Ce que les travailleurs ont vécu sur cette période a été le plus souvent désorganisé, stressant, surchargé, sans horaires et avec en prime, pour certains, les enfants et le conjoint, qui travaille également. A la ville de Lyon, une expérimentation du télétravail était menée pour une centaine d’agents. Avec la crise sanitaire, 2 000 (sur 10 000 agents) se sont retrouvés en situation de travail à distance, passant de très bonnes conditions de travail à leur bureau à des conditions souvent dégradées chez eux. Lors d’échanges avec certains agents, nous avons ressenti une forte angoisse, un stress de mal faire, de ne pas faire assez...

  • Quels sont les « nouveaux » risques pour la santé des agents ?
  • Les règles de distanciation physique et sociale, le travail à distance, les nouvelles formes de l’organisation du travail, la revalorisation de certains métiers, certaines tâches vont avoir un effet sur les contraintes psycho-organisationnelles ou risques psychosociaux (RPS).

  • Quels enjeux pour les mois à venir ?
  • Les principaux enjeux seront autour de la santé au travail et des liens entre la santé au travail et la santé publique sur des sujets comme les risques psychosociaux. Il y aura certainement à reparler du travail, du rôle social du travail, notamment sa place dans notre vie et dans notre quotidien. Des réorganisations systémiques seront nécessaires, en utilisant pleinement ce que nous proposent les ergonomes et qui est retranscrit dans les principes généraux de prévention : « adapter le travail à l’homme et non l’inverse » et « comprendre le travail pour le transformer ».

  1. (1) ACFI : Agent chargé de la fonction d'inspection / CHSCT : Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
  2. (2) Thierry Rieffle est le trésorier de ResPECT.

© DR

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