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Secrétaire général de l'AMF : une forte agilité des collectivités locales

Philippe Laurent, secrétaire général de l'Association des maires de France (AMF) et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), livre son regard sur la crise sanitaire du Covid-19 et ses enseignements, sur la réactivité dont ont fait preuve les collectivités qui sont, selon lui, des acteurs majeurs de la relance.

Interview réalisée le 27-05-2020

  • Comment s’est déroulée la coordination de cette crise au niveau de l’AMF ? Quel a été votre rôle ? Comment avez-vous travaillé avec le gouvernement ?
  • Nous avons chacun œuvré dans notre domaine et avons travaillé avec les ministères concernés. Pour ma part, j’ai été pas mal sollicité par le Premier ministre et surtout par Olivier Dussopt, secrétaire d’état à la Fonction publique ainsi que son cabinet. Chaque mercredi, nous avions une réunion en audio ou visioconférence, avec la coordination des employeurs territoriaux, durant laquelle nous faisions remonter des demandes du terrain, échangions sur ce qui posait problème… (le jeudi avait également lieu une réunion avec les organisations syndicales). Un avancement des textes nous était présenté. Les projets de texte nous sont d’ailleurs régulièrement envoyés. Le gouvernement a bien géré de ce point de vue, et ça s’est très bien passé.

  • En tant que secrétaire général des maires à l’AMF, quel regard portez-vous sur cette mobilisation des maires et de leurs équipes, souvent en première ligne ?
  • L’administration municipale a démontré qu’elle est très agile. Elle a réagi très vite. Le binôme maire-DGS a fonctionné immédiatement, enclenchant rapidement et efficacement les plans de continuité d’activité (PCA). Je suis agréablement surpris par la façon dont le télétravail a été mis en place par les équipes, dans l’urgence. Dans ma commune, à Sceaux, il a très bien fonctionné. Nous avions un problème d’accès au réseau de la ville qui a été réglé en quelques jours ! Je veux aussi saluer le volontariat immédiat des équipes, comme par exemple pour l’accueil des enfants des personnels soignants, en crèche et à l’école.

  • Qu’est-ce qui a été/est le plus difficile ? Et qu’est-ce qui est porteur d’espoir ?
  • Nous avons eu des remontées d’élus sur des inquiétudes quant à des questions d’ordre RH (ressources humaines). Tous ne sont pas au fait de ces sujets : dans quelle situation placer les agents avec des interrogations sur les autorisations spéciales d’absence, quid des congés imposés… Le gouvernement a pris un texte qui permettait de le faire. C’était un choix. Je pense que ce n’était pas quelque chose de souhaitable et qu’il y avait la possibilité pour les collectivités de négocier en interne. Cette période de crise sanitaire a mis en lumière la mobilisation et polyvalence des agents qui, pour certains, ont réalisé des missions qui n’étaient pas les leurs. Nous avons vu aussi que le numérique a bien aidé (télétravail, visioconférence…).

  • Est-ce que, selon vous, les mairies étaient prêtes à réagir, dans ce contexte électoral ?
  • Nous l’avons vu, le dimanche 15 mars se déroulait le premier tour des élections, mais les élus et les équipes travaillaient déjà sur les plans de continuité d’activité, qui ont été souvent activés dès le lendemain. Nous avons complètement « oublié » les élections face à cette urgence sanitaire. Il est même difficile aujourd’hui de s’y remettre dans l’optique de l’élection du 28 juin...

  • Quels premiers enseignements ressortent fortement de cette période de crise ?
  • Encore une fois l’agilité dont ont fait preuve les collectivités, mais aussi la fonction publique hospitalière. Nous l’avons vu, par exemple, pour la distribution des masques avec une bonne coordination et une logistique qui s’est déroulée sans anicroches entre collectivités. S’il y a des mesures que seul l’État peut prendre, qui ne peuvent pas être imposées différemment d’une collectivité à l’autre, comme les mesures de confinement par exemple,  sur les questions d’ordre matériel, il ne sait plus faire. C’est au niveau local que la gestion doit être conduite. Je pense notamment au volet de la santé, pas d’un point de vue technique mais sur l’organisation de toute la santé publique, en termes de prévention et de protection civile, avec une mise en synergie des acteurs de la santé.

  • Est-ce que des évolutions s’imposent déjà ou pourraient s’imposer selon vous ?
  • Une méfiance s’est installée avec l’État qui s’est recroquevillé sur lui-même. Une méfiance très forte qui ne s’est pas arrangée avec l’épidémie de Covid-19. Cette crise de confiance risque de s’amplifier, s’il n’y a pas un changement de culture. Je prends pour exemple la réouverture des écoles avec ce protocole de 63 pages censé être un guide pour les élus et la communauté éducative mais destiné en fait à ouvrir le parapluie pour protéger l’administration centrale. Le ministère aurait pu établir les grandes règles en nous faisant confiance pour la mise en œuvre localement, avec l’aide du préfet si besoin.
    Cette pandémie a par ailleurs un impact financier important pour les collectivités. Passons un contrat : l’État compense ces pertes par une « nationalisation » et en contrepartie les collectivités s’engagent par des investissements accélérés. C’est un discours dans lequel tout le monde est gagnant. Mon raisonnement est partagé par une grande partie de l’AMF et des associations d’élus : les collectivités sont les acteurs les plus à même de participer à la relance. Elles sont capables de lancer des opérations rapidement, positives d’un point de vue environnemental (éclairage public, rénovation énergétique des bâtiments…). Elles doivent avoir la capacité de maintenir et d’accélérer leurs investissements, pour abonder les carnets de commande des entreprises ; des investissements qui représentent notamment 40 % de l’activité du BTP (bâtiment travaux publics). J’ai échangé très récemment avec la Fédération des travaux publics ou encore Routes de France qui sont tout à fait d’accord.
    C’est un raisonnement que je vais porter à l’échelle européenne même si juridiquement, c’est compliqué. Une petite partie du plan de relance européen de 500 milliards d’euros pourrait être consacrée aux collectivités pour les aider, et pas qu’en France d’ailleurs. Je porterai ce message à la prochaine réunion du Conseil des communes et régions d’Europe (association qui défend les intérêts des collectivités européennes et leurs associations dans plus de 40 pays), en tant que président de l’Association française du conseil des communes et régions d’Europe.

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