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Le statut dans la FPT : interview de Fabien TASTET, président de l'AATF

Les relations élus-managers-agents territoriaux sont aujourd’hui bousculées. Interrogé par Clarisse JAY, pour l’Observatoire social territorial (OST), Fabien TASTET, président de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) et DGS de Grand Paris Sud Est Avenir, revient sur ces évolutions.

Régler la question du statut du directeur général conforterait les rôles de l’encadrement dirigeant.

Fabien TASTET - président de l’Association des administrateurs territoriaux de France

OST : Comment analysez-vous l’évolution des relations élus-managers-agents territoriaux ?

Fabien TASTET : Dans le modèle d’administration et d’action publique à la française, les rôles sont a priori bien établis. D’un côté l’élu, en position de décisionnaire, de patron qui fixe le cap. De l’autre, la direction générale et l’encadrement supérieur qui jouent un rôle de conception et de conseil, interviennent sur le champ stratégique, en plus d’être évidemment positionnés sur le champ d’exécution et d’application des orientations des élus. Ils assurent un rôle d’encadrement des agents de l’ensemble de la collectivité.

Or aujourd’hui, ce modèle est bousculé. D’un côté, il l’est pour de bonnes raisons. Je pense à tout ce qui relève de la participation et de l’innovation pour rendre les agents des acteurs du changement et du processus de décision dans la collectivité. C’est la raison pour laquelle l’AATF a pris des initiatives en ce sens, telles que le Lab’AATF qui aide justement les administrateurs à développer de nouvelles formes de management dans les collectivités. L’enjeu est de donner une place aux agents dans le processus de décision, de les rendre davantage acteurs et maîtres de leurs conditions de travail, de partager davantage le sens de l’action avec les décideurs que sont les élus et l’encadrement supérieur et dirigeant. Cette évolution bouleverse la relation cadres-agents, mais va dans le bon sens, car tout en conservant le nécessaire pouvoir hiérarchique, elle y ajoute de l’intelligence collective, de l’égalisation de la parole.

OST : Ce mouvement est-il défendu par les managers territoriaux ou rencontre-t-il des résistances ?

Fabien TASTET : Il y a, bien sûr, parfois un peu de résistance. Ce type d’évolution, le fait de donner plus d’initiatives à ses agents, peut être anxiogène pour un manager qui peut se sentir désarmé face à la participation et à l’innovation. Nous avons lancé une initiative d’accompagnement des administrateurs territoriaux, le Lab’AATF qui se développe.  Face à l’innovation et à la participation, à ces nouveaux modes de management, il ne faut pas être seul. Il faut être dans l’approche collective et dans le partage des bonnes pratiques, mais aussi dans la confrontation des idées. Car l’innovation et la participation se nourrissent aussi de la contradiction, de méthodes et d’outils.

Cela étant dit, d’autres transformations s’avèrent plus négatives, telle la « PDGisation » d’un certain nombre d’élus. Sur le mode d’un président-directeur général, ceux-ci essayent de se substituer à l’encadrement supérieur et aux dirigeants dans la conduite de l’administration, d’aller au-delà de leurs prérogatives en matière de cadrage, d’orientation et de se positionner comme le premier manager de la collectivité. Ce qu’ils ne doivent pas être. Ce rôle incombe au DGS par délégation, en vertu de la confiance que lui accorde l’élu (le maire ou le président) et dans le cadre global que lui assigne l’élu.

Ce type de transformation est dû à plusieurs facteurs : une défiance générale vis-à-vis des fonctionnaires et, globalement, de l’encadrement supérieur, qualifié parfois de manière péjorative de « technostructure ». De nouveaux élus issus des derniers cycles électoraux se sont officiellement positionnés de la sorte, affirmant publiquement que ce n’était plus l’administration qui commandait dans leur collectivité.

Cette tendance est aussi liée au développement des nouvelles technologies qui favorise le sentiment, chez certains élus, qu’en étant connecté avec un smartphone ou une tablette, ils peuvent diriger leur collectivité en envoyant des mails et se passer de DG. D’ailleurs, certaines petites collectivités tentent parfois cette expérience, le maire essayant de fonctionner seul avec son cabinet. Ce phénomène est plus courant dans les collectivités de quelques dizaines voire centaines d’agents. Les cadres territoriaux brouilleraient ou dénatureraient le message que souhaite envoyer l’élu, ou encore feraient perdre de la réactivité.

Or une administration fonctionne bien quand chacun est à sa place : l’élu fixe le cap, la direction générale et les directeurs assurent leur rôle d’administration, de conception, de conduite de l’administration. Ils sont les interlocuteurs directs des agents qui doivent avoir plus de place dans le processus décisionnel.

OST : Comment lutter contre cette tendance ? En faisant évoluer le statut de l’élu ?

Fabien TASTET : Il y a quelque chose que nous n’avons jamais réussi à faire et que je défends : c’est donner au cadre dirigeant un statut dans la collectivité. Car aujourd’hui, les DG ont le statut que l’élu veut bien leur donner. C’est l’élu qui leur donne des responsabilités, qui leur donne des prérogatives. Aucun article du code général des collectivités territoriales ne définit les missions du cadre dirigeant, son positionnement en matière de stratégie ni ne précise les instances dans lesquelles il est habilité à siéger.

Dans ce contexte d’absence de statut, il est difficile pour le cadre dirigeant de défendre sa place, ainsi que son rôle de conception de management. Nous n’avons jamais réussi à régler cette question du statut du DG, mais elle ferait avancer les choses, car elle conforterait les rôles de l’encadrement dirigeant.

Nous devons aussi travailler à retisser des liens de confiance entre les cadres publics et les élus. C’est la raison pour laquelle l’AATF œuvre pour que les cadres territoriaux soient plus présents, plus visibles dans le débat public et qu’ils travaillent davantage avec les élus et les associations d’élus. Si vous n’êtes pas dans le débat public, vous n’entendez qu’une voix, celle d’un certain nombre de laboratoires d’idées notamment, qui ne cessent de répéter qu’il y a trop de fonctionnaires. En particulier trop de hauts fonctionnaires qui représentent une strate qui ne sert à rien, qui alourdit le processus de décision et qui coûte cher. Il nous appartient donc de faire savoir que ce pays fonctionne bien lorsqu’il y a une haute fonction publique qui fait son travail, qui seconde les élus et qui dirige l’administration.

Il faut, bien sûr, que cette haute fonction publique se réforme. Elle n’est de fait pas assez diverse que ce soit en matière de genre, d’origines sociologiques, mais aussi de profils professionnels. La haute administration est sans doute aujourd’hui coupable d’endogamie, surtout dans les directions d’administration centrale. Elle a un travail à faire sur elle-même, mais elle est nécessaire. Les élus ont besoin d’elle pour diriger le pays et les collectivités territoriales. Nous devons faire passer ce message et l’AATF est plus présente, plus active, à cette fin.

OST : Mais ne risquez-vous pas, à l’inverse, d’être accusé de vouloir prendre la main sur le travail des élus ?

Fabien TASTET : C’est effectivement la critique à laquelle nous nous exposons. Mais je suis très clair sur la question : le patron, c’est l’élu. Nous ne sommes pas là pour créer de la confusion dans les rôles, pour nous substituer à l’élu. Mais l’élu ne peut pas diriger tout seul une collectivité de plusieurs milliers d’agents. Il arbitre, il donne le cap, et pour cela il a besoin de s’appuyer sur une administration qui relaie ses choix, les met en œuvre, le conseille aussi et s’inscrit dans ce rapport de « coproduction hiérarchisée ». Ce qui évite, d’ailleurs, de considérer l’élu comme quelqu’un d’omnipotent et les agents comme de simples exécutants. L’échelon intermédiaire entre l’élu et le citoyen est nécessaire a fortiori depuis que certaines régions ont fusionné et couvrent des territoires nettement plus importants qu’avant.

Il faut l’expliquer, car l’air du temps promeut la suppression des échelons intermédiaires et de la relation directe. Une tendance que favorisent notamment les réseaux sociaux. Or, à l’époque des Trente Glorieuses, personne ne se posait la question. Il y avait de grands capitaines d’industrie qui travaillaient, parfois, sous l’égide du Commissariat général au plan, avec des hauts fonctionnaires. Et finalement, cet alliage fonctionnait plutôt bien.

OST : L’arrivée de nouvelles générations de managers territoriaux pourrait-elle changer la donne et pourquoi ?

Fabien TASTET : Cela fait partie des transformations positives du modèle. Aujourd’hui, des agents ont un rapport différent à leur travail et à l’autorité, et s’inscrivent, par exemple, dans des modes de travail discontinus. Des analyses montrent d’ailleurs qu’un jeune cadre n’est pas forcément choqué par l’interpénétration des temps personnels et des temps professionnels. Il intervient sur des séquences qui peuvent être plus rapides, il alterne séquences de travail et séquences personnelles au sein d’une même journée. Et cette nouvelle relation au temps engendre de nouvelles formes de relation à l’autorité.

Cette évolution est positive, car elle nous permet de développer la participation des agents, de leur donner une place dans le processus de décision. Les agents devraient avoir un pouvoir de décision, notamment sur leurs conditions de travail, sur l’organisation de leur travail au quotidien pour réaliser leurs missions, sur la mise en place de nouvelles formes de travail, tel le télétravail, ce qui est motivant.

OST : Le statut de la fonction publique est de plus en plus remis en cause, en particulier concernant la fonction publique territoriale. Le statut tel qu’il a évolué ces dernières décennies tient-il toujours ses promesses, notamment en termes de protection ? Quelles pistes d’évolution préconisez-vous ?

Fabien TASTET : Il y a un malentendu sur le statut. Certains le considèrent davantage comme un dû qui serait attribué aux agents, comme s’il y avait une sorte de hold-up historique créé par les agents du public, qui cacheraient un magot dans un coffre…

Or le statut est d’abord fait pour assurer la continuité du service public auprès des citoyens, pour assurer une forme d’impartialité, pour protéger de l’arbitraire et pour assurer une professionnalisation des services publics. La garantie de l’emploi des agents implique que la collectivité est obligée d’investir sur eux, afin d’améliorer la qualité du service rendu. Il est aussi fait pour offrir aux citoyens une trajectoire méritocratique. Pour beaucoup de Français, passer un concours et devenir fonctionnaire, c’est encore une voie pour progresser dans la société via une trajectoire professionnelle. Or, nous avons tendance à l’oublier en faisant du statut une sorte de match entre salariés du privé et agents du public.

Quand on évoque son évolution, de quoi parle-t-on ? Le statut, ce n’est pas un objet mais plusieurs objets combinés. Le statut, c’est par exemple le concours. Si l’on part du principe qu’il faut supprimer les concours : comment sélectionner les candidats ? Comment s’assurer de leurs compétences ? Comment s’assurer que la sélection garantit l’impartialité ? Quel est le modèle alternatif ? Recruter des agents sous contrat comme dans le privé ?

Ensuite, d’aucuns attaquent l’emploi à vie. Mais l’emploi à vie comprend des contreparties. Il n’est pas attribué aux fonctionnaires comme un cadeau. L’emploi à vie existe parce qu’en contrepartie, des obligations sont imposées aux fonctionnaires. Ce n’est pas le cas pour les salariés du privé qui sont dans une relation contractuelle avec l’employeur. Si le contrat évolue, les deux parties doivent être d’accord. À l’inverse, un agent du public est dans une relation unilatérale avec l’employeur public. Si celui-ci lui demande de changer de lieu, d’affectation, il faut certes le soumettre aux instances de dialogue social (CAP), mais il peut l’imposer à l’agent. Un agent public est soumis à des obligations particulières, de discrétion, de posture, d’exemplarité…

Est-ce cela que nous voulons remettre en cause ? Alors même que nous cherchons à combattre la précarité des salariés du privé. Que voulons-nous ? La précarité ou de l’emploi sur la durée ? Au-delà de tels slogans, il faut expliquer concrètement ce que l’on veut défaire et faire à la place. En fin de compte, un équilibre est donc trouvé, même si des évolutions sont nécessaires. À ce propos, je rappelle que le statut n’a cessé d’évoluer ces 40 dernières années et encore dernièrement avec la loi Déontologie du 20 avril 2016. Il va continuer à évoluer et c’est nécessaire, notamment en matière d’entrée, de sortie et de discipline.

OST : L’évolution vers un « mix » des systèmes de la carrière et de l’emploi est-elle souhaitable ?

Fabien TASTET : Le modèle n’est pas fermé. Je reste attaché à ce que l’on conserve ce principe d’agents publics recrutés, pour l’essentiel, par le biais de concours, sachant que les agents de la catégorie C bénéficient du recrutement direct qui permet d’accéder à des emplois de la fonction publique sur la durée d’une carrière. Nous devons conserver l’ADN de ce système, même si des évolutions sont nécessaires concernant, notamment, l’entrée et la sortie dans la fonction publique. Avoir la garantie de l’emploi à vie ne veut pas dire accepter ensuite n’importe quelle situation, notamment, les situations « d’inemployabilité » avérée, pour des raisons comportementales ou médicales. Il est aussi possible de se séparer d’un agent même avec le principe de l’emploi à vie.

Interview réalisée par Clarisse JAY, journaliste spécialiste des questions de la fonction publique le 13 janvier 2017.

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